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17 décembre 2013 2 17 /12 /décembre /2013 10:27

 

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La "radio-trottoir" est en RD Congo ce que l’air est à un être humain : omniprésente.  On a beau la croire "plus puissante que l’internet", il y a lieu de s’interroger tout de même sur les raisons de l’attrait qu’elle a chez nos compatriotes.

Voici quelques mois une histoire a fait le tour de la ville de Goma (Nord-Kivu), provoquant la colère des "Gomatraciens", lesquels improvisèrent aussitôt une marche de protestation. Le Cdt  Mamadou Ndala qui dirigeait l’offensive des Forces Armées Congolaises (FARDC) contre l’ex groupe rebelle M23, disait-on, était rappelé à Kinshasa, ce qui trahissait l’intention du gouvernement d’empêcher la victoire de l’armée sur la rébellion. Courant 2009, on a assuré aussi que M. E. Tshisekedi, alors en soins à Bruxelles, était mort, ce qui suscita surprise et émoi auprès de beaucoup. Que dire de l’information selon laquelle le chanteur Defao aurait révélé que le chef de l’Etat servait à l’époque d’une de ses tournées  en Tanzanie comme simple taximan ? Inutile de dire que ces bruits, qui ne reposaient sur rien, ne se sont révélés que comme rumeur sans fondement, même si certains continuent d’y croire dur comme fer.

Depuis la nuit des temps, les histoires abracadabrantes ont le don de fasciner, et on a tendance à les propager sans trop regarder à leur véracité ni aux conséquences. Il faut reconnaitre également que nous ressentons une excitation beaucoup plus grande à écouter des propos négatifs que ceux qui sont constructifs. Mais qu’est ce qui explique cet attrait du congolais pour la rumeur ?

Partout où les activités des gouvernements et des autorités sont secrètes, la rumeur fleurit. Dans son livre "La rumeur d’Orléans", le sociologue Français Edgar Morin reconnait que "dans les régimes totalitaires, le monde du « non-dit » se répand, véhiculant l’information juste ou imaginaire". Un exemple. Quel jour LD Kabila a-t-il été assassiné, était-ce le 16 ou le 17 janvier 2001 ? Le 16 en tout cas, le ministre de l’intérieur Gaetan Kakudji déclara à la télévision que l’état d’urgence suivant l’attaque de la résidence du chef de l’Etat était décrété par "Mzee" en personne. Le ministre de l’information Sakombi Inongo accrédita cette thèse en soutenant pour sa part que "Mzee" était mort au Zimbabwe le lendemain de l’attaque. Cependant, ce qui est évident est que c’est le 16 janvier qui est commémoré au pays comme jour de la mort de LD Kabila.

Dans ces conditions, il devient difficile de croire aux informations officielles, et les gens, faute d’une source d’information crédible, se tournent vers la "radio-trottoir", la croyant mieux renseignée et surtout, plus véridique.

L’amateurisme des medias congolais nourrit la rumeur. Dans beaucoup de pays, les gens s’en remettent aux medias pour se renseigner. Cela s’explique puisque les journalistes – et non le commun des mortels – ont le droit et les moyens d’interroger les autorités quelles qu’elles soient, de mener des investigations, de recouper les informations afin que le lecteur (ou le téléspectateur ou l’auditeur) fasse la part entre l’information et la rumeur. Mais qu’en est-il chez-nous ?rumeurs.png

Il n’est pas moins vrai que la presse congolaise (généralement une presse à sensation), véhicule la rumeur. Et la critique qu’avait formulée le PM Lunda Bululu en son temps contre notre presse selon laquelle "ses titres sont grandiloquents mais ses arguments sablonneux" est autant vraie aujourd’hui qu’elle l’était hier. Il n y a qu’à voir comment les journalistes congolais s’en tirent par des formules trompeuses telles "selon nos sources" ou  l’abus de subjonctif du genre "il semblerait que" ou "il paraitrait que" avant de livrer une information tout aussi imaginaire que sensationnelle. Qui pourrait aujourd’hui prétendre devant un auditoire sérieux avoir lu telle nouvelle dans notre presse et être pris au sérieux ? Quel étudiant pourrait citer un de nos journaux dans un travail académique et convaincre ? Et pourtant, ce ne sont pas les écoles de journalisme ni des séminaires de formation qui font défaut en RD Congo.

On se serait attendu que nos compatriotes de la diaspora ayant accès à des institutions académiques plus professionnelles, sortiraient du lot et livreraient une information crédible dans leurs blogs ou sites web. Mais tout se passe comme si nous autres congolais ne pouvions pas faire dans la mesure, et comme si nous n’avions que deux choix à faire : le pouvoir ou l’opposition. Presque tous sont alignés sur des positions politiques tranchées et s’entredéchirent à coup d’injures et d’intox. Au final, c’est l’information qui est sacrifiée et la rumeur amplifiée. rumeur

Notre société est encore dominée plus par l’oralité que par l’écrit. Si depuis les indépendances notre pays compte sur le papier un nombre incalculable de diplômés d’université et des écoles supérieures, en réalité nos us et coutumes semblent ne pas avoir été influencées par cette donne. Comme à l’époque ancestrale, c’est l’oralité qui prime sur l’écrit. Il est un fait que le congolais lit peu (c’est un euphémisme) et dans nos maisons, s’il y a des bibliothèques, les casseroles y sont et non des livres. A l’ère de la blogosphère, d’une façon générale, le congolais a l’air d’un nain tant de par sa participation que de par la consistance de ses idées. 

Ainsi, tant que les gouvernements ne seront pas enclins à dire la vérité aux populations, et que notre presse se caracterisera par le manichéisme et l'amateurisme, et tant que notre enthousiasme envers la lecture ne sera ce qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire insignifiant, la rumeur aura des beaux jours devant elle. Et comme l’avait déclaré l’ancien diplomate Français à Kinshasa à RFI (de façon peu diplomatique, il est vrai), notre pays demeurera " la République des rumeurs ", dans lequel, au lieu de nous interroger sur la crédibilité d’une information reçue, nous objecterions simplement en disant: "y a-t-il jamais de fumée sans feu ?"

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