Comme il est étonnant que Durba, cette bourgade du Haut-Uélé blottie à 560 km de Kisangani et située à 150 km à l’Ouest de la ville ougandaise d’Arua, est en passe de devenir l’une des grandes places minières du continent grâce au Projet KibaGold. Mais combien sont-ils parmi ses nombreux habitants d’aujourd’hui qui savent que son passé n’a pas toujours été que rose ?
Il y a à peine une décennie, c’est justement à cause de cet or de la région que des milices rivales se sont livrées une guerre sans merci en vue du contrôle de ses riches gisements, laissant au passage un nombre incalculable de tués et de blessés. Avant cela, entre 1998 et 2000, c’était au tour du virus de Marburg d’ôter la vie à des centaines de "nzengeneurs", ces chercheurs d’or venus de Watsa ou d’ailleurs.
En écoutant les gens parler ces jours-ci, l’un des sujets à l’ordre du jour c’est la fréquence de cas d’empoisonnement. Des hommes et des femmes s’en plaignent. Les travailleurs ne sont pas en reste. Les vendeurs de " l’antidote" semblent faire de bonnes affaires. Voilà ce qui nous a poussé à nous entretenir avec un jeune médecin local, Beston Mutamba Kitenge, 32 ans, afin d’en savoir plus. Cependant, nous ne faisons qu’ouvrir un dossier sur lequel nous reviendrons. Ci-dessous l’interview.
Q. Docteur, quelles sont vos informations en rapport avec les malades qui souffrent d’empoisonnement à Durba?
Je reconnais que c’est un problème qui se pose dans notre société. Malheureusement nous ne disposons pas de statistiques ni de médicaments appropriés pour contrer ce mal.
Q. Dans quel état les malades se présentent-ils chez-vous ?
On ne peut pas dire qu’il existe des symptômes spécifiques puisque les cas se présentent sous des tableaux différents.
Q. Voulez-vous être plus explicites ?
Ce sont pour la plupart ceux que nous appelons des malades grabataires ou "malades graves" : très affaiblis, ils souffrent d’amaigrissement, certains vomissent avec persistance, ils ont une diarrhée chronique, parfois le hoquet voire même le vertige. Néanmoins, je peux déceler des constantes : ils ont mis du temps à nous joindre, parfois sont passés par deux ou 3 centres médicaux avant de venir là où nous sommes. D’autres par contre sont allés auprès des tradi-praticiens auparavant.
Q. Que leur prescrivez-vous ?
En principe la première chose c’est la réanimation médicale [perfusion] pour remonter l’état général du patient. Mais contre toute attente nous nous heurtons à un refus de leur part.
Q. Qu’est-ce qui justifie pareille attitude ? Mais pourquoi donc se rendre dans un centre médical et une fois-là refuser les soins prescrits par le personnel soignant ?
Quelqu’un qui se croit empoisonné ne peut pas accepter d’autres soins, à part ceux auxquels il s’imagine avoir droit. Dans beaucoup de cas ce sont les membres de la famille du patient qui s’interposent. On nous dit : " ne lui donnez pas du sérum, autrement il mourra " ! Pour le malade (s’il est en état de s’exprimer), pour sa femme ou d’autres parents, c’est l’empoisonnement qu’il faut traiter et non autre chose !
Q. …et l’empoisonnement, dans son entendement, ne se traite pas avec du sérum….
C’est exact. La mentalité est ainsi.
Q. Voyons : pourquoi pensent-ils d’abord à l’empoisonnement ?
Probablement à cause des symptômes digestifs comme le vomissement et la diarrhée, sans oublier l’asthénie physique et l’epigastralgie comme ils estiment avoir bu ou ingurgité du poison.
Q. Vous vous trouvez donc devant un cas d’un malade qui refuse le traitement…
Il s’agit d’abord d’un refus du diagnostic. C’est la conception négative du patient (ou de ceux qui nous l’amènent) qui influence son comportement. Ils sont plus que sûrs que c’est bel et bien un cas d’empoisonnement.
Q. Mais que veulent-ils en réalité ?
Ce qu’ils veulent c’est un antidote contre l’empoisonnement et ils savent que le sérum ne l’est pas.
Q. Mais pourquoi donc leur prescrivez-vous du sérum ?
Je vous ai dit qu’à leur arrivée ils sont dans un mauvais état général. Ils ont besoin de se reconstituer des forces et le sérum s’impose. En plus, tout liquide que nous avalons s’élimine par voie urinaire. En prescrivant le sérum, le poison pourrait s’éliminer. Je sais par des symptômes que ce ne peut pas être l’empoisonnement mais pour faire accréditer la thèse de l’empoisonnement, dès lors je leur dis que le sérum peut aider à évacuer le poison…
Q. Ce que vous vous trouvez à négocier avec les malades pour qu’ils acceptent les soins sensés les guérir eux-mêmes!
En fait je m’applique à la communication pour le changement du comportement du malade, afin que le malade accepte le traitement proposé. Dans le cas où il accepte le sérum ("puisqu’il pourrait éliminer le poison"), un grand pas est déjà franchi car le patient n’a plus l’idée erronée selon laquelle "le sérum tue". Ensuite, après avoir fait faire les examens de laboratoire, je le mets sous un traitement spécifique selon les résultats de tests qu’il a effectués.
Q. Et quel est ce "traitement spécifique"?
Les faits démontrent que 80% des cas présumés d’empoisonnement ne le sont pas. En lieu et place de ceci, il s’agit du VIH. Les 20% restant sont des cas de fièvre typhoïde, de méningite, de tuberculose ou même de paludisme grave.
Q. Au fond n’ont-ils pas raison d’émettre des réserves sur votre "obstination" de vouloir soigner autre chose que l’empoisonnement d’autant, vous l’aviez reconnu vous-même, ils sont passés par d’autres centres de santé. Peut-être leur a-t-on dit là-bas qu’il s’agissait bel et bien du poison, non ?
Les symptômes trompent rarement. Cependant, cela peut s’expliquer ainsi : soit le personnel médical d’où les patients sont passés a identifié la maladie mais a manqué de courage pour le lui révéler, soit le corps médical était ignorant et n’a pas pu savoir de quoi il en était.
Q. Comment donc : manquer de courage pour parler et dire la vérité au malade à propos de son mal ?
La communication du diagnostic au malade n’est pas chose facile toujours car il arrive que le personnel soignant pense qu’il s’agit d’un secret professionnel!
Q. Tout se termine donc bien avec les malades ?
Détrompez-vous ! Il y en a bien sûr qui finissent par accepter le diagnostic et prennent le traitement leur administré. Mais d’autres refusent et quittent le centre médical pour chercher un personnel plus compétent à ses yeux, ou carrément retournent chez le tradi-praticien !
Q. C’est-à-dire celui qui soignera l’empoisonnement ?
Aux yeux de ceux qui pensent ainsi, oui. Ce dont il faut se rappeler est que tout ce que recherche un patient qui vient à l’hôpital c’est de recouvrir la santé.
Q. Le personnel médical se trouve donc face à un dilemme.
Je crois qu’en RD Congo nous avons un problème d’éducation sanitaire à faire. Nous savons donner des soins curatifs, c’est-à-dire soigner les malades. Mais qu’en est-il des soins préventifs ? Par exemple vous verrez un patient qui vous dit qu’il a été opéré. Demandez-lui de quoi a-t-il été opéré et des fois il vous dira simplement "puisque je souffrais". En réalité il ne sait pas de quoi il a été opéré. Il ne sait pas pourquoi il est entré dans la salle d’opération car son médecin traitant n’a pas jugé bon de le lui dire ! C’est à ce niveau-là que nous devrions aussi fournir des efforts.