Suicide politique, lapsus, provocation ? Que non ! L’homme n’est pas devenu fou. Au contraire, il reste bien cohérent avec lui-même. Si après ses propos de dimanche 6 novembre sur RLTV qui ont soulevé le tollé tant dans les milieux extérieurs que gouvernementaux il "a remis ça" à Kisangani, c’est qu’il a une bonne raison de le faire. Devrions-nous alors prendre son discours à la lettre ou nous en tenir seulement à son esprit, autrement dit aux sous-entendus? Tentative de réponse.
1) Ayant conscience de l’hypocrisie de la communauté internationale, Tshisekedi prend ses dispositions. Depuis plusieurs jours un bras de fer oppose l’opposition au gouvernement au sujet de sympathisants de l’UDPS qui ont été jeté en prison au motif qu’ils auraient troublé l’ordre public, ce que dément la 10ème Rue. Malgré les nombreuses démarches et mises en garde de cette dernière, le ministère de l’intérieur est resté inflexible et muet. Aux yeux de Tshisekedi cependant, non seulement cela est une preuve de mauvaise foi, mais aussi un "casus belli". On aura noté que lors de ses dernières interventions il est souvent revenu sur le cas de ses "combattants" emprisonnés.
Si le gouvernement a accordé une fin de non recevoir aux nombreuses sollicitations de l’opposition, il serait étonnant que le corps diplomatique occidental présent en RD Congo ne l’ait pas su. Les diplomates accrédités à Kinshasa n’ignorent pas non plus comment la CENI a, en refusant de rendre possible l’audit du fichier électoral, rejeté tout compromis avec les opposants. Nous ne citerions pas le refus du gouvernement de laisser la communauté internationale s’impliquer comme en 2006 en certifiant par exemple les résultats des élections. A moins d’être un aveugle, il saute aux yeux que le décor est plante pour un tripatouillage électoral éventuel. Cela aussi, les ambassadeurs occidentaux le savent. Mais curieusement ils se taisent. Pour Tshisekedi, c’est sans doute un silence coupable, prémonitoire de leur silence à venir après la tricherie. Et l’opposition n’aura que ses yeux pour pleurer.
L’homme de Limete est bien au courant de toutes ces évolutions et sait qu’il ne pourra pas compter sur la communauté internationale que le régime Kabila mettra devant un fait accompli. L’ONU, L’UE, L’UA, la CPJ ou le FMI ne changeront rien aux résultats des élections. Cette communauté internationale a des critères à géométrie variable. Le sort de Kadhafi et celui du dirigeant Syrien qui tue son propre peuple chaque jour n’a pas été le même. George Bush n’a pas eu le même sort du président soudanais Omar Béchir du Soudan. Nelson Mandela avait bel et bien créé le célèbre "Umkhonto We Sizwe", l’aile militaire de l’ANC. Cela ne l’a pas empêché d’obtenir le Prix Nobel de la Paix. Demain, l’opposant historique se retrouvera seul avec ses "combattants". C’est sur eux seuls qu’il pourra compter. C’est pour cela qu’il les ameute aujourd’hui en prévision de la grande confrontation à venir.
2) Tshisekedi n’est pas un candidat du "système". Pour un politicien du paysage politique congolais, l’opposant historique est un politicien atypique. Il n’a jamais joué sur la fibre ethnique ni tribale. Sa popularité, il ne la tient pas du fait d’avoir été ministre ou parlementaire. Elle dérive du courage et de la constance de ses convictions, ce qui est rare parmi nos politiciens dont l’opportunisme est un sport national. En écoutant le discours apparemment va t’en guerre qu’il tient aujourd’hui, on retrouve le Tshisekedi des débuts, on pourrait dire : "he is back to the basics ". La grande particularité ici est qu’il défie le pouvoir de l’intérieur (à la différence des hommes comme Honoré Ngbanda qui mènent leurs activités à partir de l’extérieur). Ce n’est pas pour rien que l’essentiel de sa carrière d’opposant, il l’a mené de l’intérieur et nombreux d’entre et nombreux sont ceux qui lui ont reproché de ne pas avoir des amis au sein des instances économico-politico-financières internationales.
Si la cible de son discours n’a jamais été la communauté internationale, sa préoccupation ne l’a jamais été non plus. C’est l’homme de la rue qui l’intéresse, celui qui s’esquinte chaque jour pour nouer les deux bouts du mois. C’est pourquoi le tollé de protestations qui a suivi ses déclarations ne l’atteint pas. Il n’en a cure. Qu’il fût le produit du "système", il serait affecté. Mais lui ne fait pas partie de "l’establishment". Il court le risque d’être taxé de populiste. Son langage n’est pas aussi conventionnel, "politiquement correct". Il fait la politique de proximité. Il aurait bien pu habiter Kimbanseke ou Ngiri-Ngiri, cela ne le dérangerait pas. Il se sent proches de ces gens. Et leurs préoccupations lui tiennent à cœur.
3) Pour Tshisekedi, le seul langage que Kabila comprend est celui de la force. Aussi s’emploie-t-il afin que la peur change de camp. L’un des proches de Joseph Kabila, M. Kikaya Bin Karubi, l’avait avoué à l’ambassadeur US William Garvelink : seule la force fait gagner les élections en Afrique. Et non les urnes, qui elles servent pour la consommation extérieure. La présence des "Pomba" qui terrorisent les habitants de Kinshasa en est probablement une concrétisation. Que les policiers aient tabassé, blessé, arrêté voire tué certains des manifestants qui se présentaient chaque jeudi face à la Poste de Kinshasa en est une autre. Pour Tshisekedi donc, tant que les populations ont peur, le régime a des beaux jours devant lui, et avec lui la brutalité et l’arbitraire. Il veut que les choses changent. "Il faut terroriser les terroristes", clame-t-il. Il espère qu’on parvienne ainsi à une sorte "d’équilibre de la terreur". Alors les instigateurs de trouble réfléchiront par deux fois avant de malmener des paisibles citoyens.
Mais l’homme garde ses pieds sur terre et se garde de franchir la ligne rouge. Est-ce pour cela qu’il préconise non pas l’offensive mais plutôt la légitime défense seulement? Il continue la pédagogie de ses sympathisants, conscient de l’effet multiplicateur de la campagne électorale qui constitue pour lui une tribune d’où ses propos sont répercutés aux quatre coins du pays, malgré la suspension de la RLTV. C’est après la publication des résultats des élections que l’on jugera si ses "combattants" ont intériorisé les paroles de leur leader ou non. Si oui, en cas du tripatouillage, on se dirigerait sans doute vers, non pas le schéma ivoirien comme le pensent beaucoup, mais celui qui a vu Roilla Odinga battre le rappel de ses troupes, au Kenya …
commenter cet article …